Publié le: 4 mai 2020

Par Geneviève Trépanier

Ma mère, Juliette Bourassa, a passé tous les étés de sa longue vie au lac Sept-Îles. Le plaisir de nager dans le lac et de respirer l’air pur l’a ramenée au lac Sept-Îles, année après année. Et, ce n’est pas fini!
À travers ce récit, les souvenirs de ma mère, ceux de mes frères et sœur et les miens s’entremêlent à quelques notes historiques extraites de publications locales. Ces souvenirs racontent l’histoire d’une famille très attachée au lac avec, en filigrane, l’évolution de la villégiature au lac Sept-Îles sur 102 ans.

Juliette enfant

Née le 22 février 1918, Juliette passera son premier été, âgée de quelques mois seulement, au chalet de ses parents, Barthélémy Bourassa et Vitaline Boisvert. Son père est propriétaire de la manufacture de bois tourné, Les Industries Bourassa, à Saint-Raymond (à l’emplacement de l’actuel Provigo). Le lac Sept-Îles a commencé à accueillir ses premiers estivants à partir de l’année 1876. C’est en 1915 que grand-papa fait construire par l’entrepreneur de Saint-Raymond, Honoré-Côme Beaupré, la Villa Chez-nous, située près du futur site de la chapelle. À cette époque, la route venant de la Grande Ligne s’arrêtait à l’emplacement de l’actuel Manoir du lac Sept-Îles. Le gros du bagage est alors transporté par le lac à bord de la « Grenouille », une ancienne chaloupe de sauvetage équipée d’un moteur d’auto. Grand-maman, pour sa part, ne fait pas tellement confiance à ce bateau bricolé et préfère le sentier qui longe le lac, transportant dans ses bras la petite Juliette. L’aînée, Jeanne, tire une voiturette Express avec quelques jouets. Yvonne et Irène, surnommée Minou, suivent en maugréant un peu contre les mouches. Dans les années suivantes, viendront s’ajouter à la famille deux garçons, Jean-Paul et Guy.

Le confort du chalet est à la hauteur de ce qui se faisait à l’époque. Gros poêle à bois dans la cuisine, foyer dans le salon, on ne gèle pas lors des journées plus fraîches. On s’éclaire avec les lampes à huile qu’il faut nettoyer à chaque jour. Une lampe Aladdin, toujours à l’huile mais qui donne une belle lumière vive, s’est ajoutée plus tard à la collection. Il y a, évidemment, une bécosse à l’extérieur et un petit pot dans chaque chambre pour la nuit. Les lits, que l’on partage à deux, sont équipés de paillasses, enveloppes bourrées de foin qu’on changeait à chaque année.

Les enfants adorent se baigner mais, pour cela, il faut apprendre à nager. Grand-maman qui, elle, savait nager, apprend à ses filles la technique à partir de la grève. Mon grand-père, pas très patient et voulant accélérer le processus, s’amuse à tirer ses garçons dans l’eau à partir du bout du quai. Ils doivent alors se débrouiller pour revenir au bord!

Les balades en verchère occupent aussi les jeunes lors des belles journées. Les plus aventureux, Jean-Paul étant le premier sur la liste, s’essayent à la voile avec de petits bateaux construits par mon grand-père. Toujours chaviré, le bateau est remis à l’endroit à force de bras et file à nouveau dans le vent pour quelques minutes encore… Plus tard, est apparue l’activité d’aquaplane qui consistait à se faire tirer par un bateau moteur debout sur une planche. La pauvre « Grenouille », qui était encore de service, peinait à garder les enfants hors de l’eau mais cela faisait partie de l’aventure!

Les jours de pluie, on se rassemble dans le solarium, belle pièce lumineuse que grand-maman avait fait ajouter au chalet, pour jouer, les jeunes au Monopoly et les adultes au Bridge et au Canasta. Il s’en est joué de féroces parties où l’on gageait fort à coup de cennes noires! Juliette, pour sa part, aime bien l’écriture.

Juliette, vers 1936

En 1936, Lawrence Bishop, propriétaire d’une usine de bardeaux à Portneuf, s’installe au lac et y fait construire un barrage pour contrôler le niveau d’eau de la décharge. En effet, l’exutoire du lac se jette dans la rivière Portneuf, laquelle actionne le moulin relié à son usine. Pour accéder à son chalet, il fera ouvrir le chemin Bishop à partir de l’hôtel Villégiature (l’actuel Manoir). Suivront de peu, l’électricité puis le téléphone. Quelques années plus tard, la route sera prolongée jusqu’au site de la chapelle, construite en 1940.

Villa Chez Nous et le dortoir à gauche, vers 1940

Le chalet étant maintenant accessible en auto, les enfants devenus adolescents en profitent pour inviter régulièrement leurs amis et amies. Mon grand-père fait alors construire un premier dortoir, puis un deuxième, à côté du chalet principal pour y accueillir les visiteurs. On organisait alors, oh scandale, des soirées de danse où étaient invités tous les jeunes du voisinage. On y dansait sur les airs à la mode au son du phonographe. Bien que la danse était défendue par le curé de Saint-Raymond, mon grand-père avait jugé acceptable et surtout plus discret de tenir ces soirées au chalet. Il fallait bien que ses jeunes s’amusent… Les deux petits chalets serviront l’un à Yvonne et l’autre à Minou pour leurs séjours au lac. Plus tard, ces deux petits chalets seront jumelés pour n’en faire qu’un seul plus spatieux, utilisé par Yvonne et son mari, Pierre Letarte.

La pêche était aussi une activité très prisée. Mon grand-père installait des lignes dormantes entre l’île Genois et l’île Nadeau, appâtées avec des gougeons. Il allait relever ses lignes le lendemain matin accompagné d’un ou deux de ses enfants pour revenir au chalet avec de belles truites grises mais aussi des perchaudes et à l’occasion… des anguilles! Les premières faisaient le délice de la famille mais les secondes, remplies d’arêtes, et les troisièmes, trop grasses, étaient boudées par les enfants. Et que dire de la pêche aux grenouilles qui se faisait le jeudi en prévision du vendredi, jour maigre catholique. On partait alors en expédition dans les zones plus marécageuses du lac, armé d’un « dard » (sorte de double râteau dont les dents se refermaient vers le centre) ou de cannes à pêche dont l’hameçon était garni d’un bout de tissu rouge. C’était souvent une pêche miraculeuse et des dizaines de cuisses de grenouilles et de ouaouarons se retrouvaient le lendemain dans les assiettes de la famille Bourassa. La conscience écologique n’était pas la même en ces temps de nature quasi vierge et de grande abondance faunique. En plus des nombreux batraciens, une colonie de hérons peuple le lac des Aulnaies et plusieurs huards nichent autour du lac Sept-Îles. Les couleuvres aussi sont très courantes et Jean-Paul, toujours prêt à faire un mauvais coup, s’amuse à les attraper pour les brandir devant ses sœurs qui se sauvent en courant.

Le temps passe et les enfants prennent des chemins différents : Jeanne entre au couvent des Augustines, Yvonne se marie à Pierre Letarte, un jeune avocat dont la famille avait un chalet au lac, et ils transformeront le dortoir en chalet pour l’occuper jusque dans les années 1960, Minou rencontre un bel ingénieur et déménage à Montréal, Jean-Paul reste dans la région pour travailler avec son père et Guy entame des études en musique à Québec. Juliette, qui fait ses études classiques au Collège Jésus-Marie à Québec, est courtisée par un étudiant en philosophie. Elle se mariera à cet étudiant, Emmanuel Trépanier, en juin 1942.

Juliette adulte

Comme Emmanuel a pris le goût du lac pendant ses années de fréquentations où il était logé au dortoir, le nouveau couple s’installe dès le premier été dans un chalet loué à Louis Augustin et qui est situé dans le chemin du lac Sept-Îles sud, une cambuse inconfortable qu’ils occuperont pendant deux saisons. Grand-papa les prenant en pitié, il leur offre alors un petit chalet, Villa Joie, dont il est propriétaire en bordure du lac près de la décharge. Cette nouvelle habitation constitue une nette amélioration pour la famille qui s’agrandit. Sans électricité mais équipé d’un gros poêle à bois, le chalet présente un confort appréciable. C’est encore le règne de la bécosse et du petit pot. Il y avait quand même une glacière pour garder les aliments au frais. Cet équipement pouvait accueillir des blocs de glace qu’on se procurait chez Paul Beaupré. Celui-ci les avait coupés en hiver à même la glace du lac et il les entreposait bien enrobés de bran de scie dans un hangar.

Le chalet étant situé en bas d’une pente abrupte, le chemin d’accès représente un défi pour nos visiteurs. L’auto de ma tante Yvonne, qui était mal garée, se serait retrouvée dans le lac n’eût été la présence d’esprit de mon oncle Jean-Paul, le cascadeur, qui réussit à l’arrêter à temps. Le 2 août 1947, Jean-Paul effectuait sa dernière cascade. Travaillant au chantier, il était grimpé sur une charge de bois pour en décoincer les billes. Tout d’un coup, la charge s’effondre, entraînant JeanPaul et l’écrasant de tout son poids. Il ne survivra pas à cet accident. N’ayant plus de relève, grandpapa vendra son usine l’année suivante à Henri Guyon.

La famille s’agrandit et me voilà (Geneviève), quatrième de la fratrie, qui en comportera cinq. Je suis arrivée au lac en 1949, âgée d’à peine six mois pour mon premier été. Parait-il que j’y ai pleuré toutes les larmes de mon corps pendant la saison entière. Était-ce le manque de lumière dans ce petit chalet sombre, les maringouins qui m’agressaient, l’eau de la source qui me donnait des coliques? On ne l’aura jamais su. Mon premier souvenir de ce chalet était une chaise berçante, qui paraissait immense à mes yeux de petite fille, dans laquelle mon père nous berçait, les deux plus vieux, Jean et Hélène, assis sur les larges accoudoirs et mon frère Denys et moi sur
les genoux de papa.

Ma mère, heureuse de poursuivre la tradition de ses étés au lac, enseigne à nager aux enfants dans le lac, maintenant facilement accessible. Les belles journées seront alors remplies de baignades interminables. Attention! Il y avait toutefois des règles à suivre : jamais avant 10h le matin et 15h l’après-midi. Il fallait attendre que la digestion soit terminée pour éviter les crampes.

Avec le chalet, venait une chaloupe à bouts carrés, au surnom sympathique de « Cercueil », dans laquelle nos parents nous amènent faire des balades, à la rame évidemment. Parfois, le dimanche midi, ils poussent la balade jusque chez mes grands-parents pour déguster le traditionnel rosbif. Maman et les enfants s’installaient au chalet pour tout l’été, de la St-Jean à la fête du Travail. Les déménagements de début et de fin de saison étaient assurés par ma grand-mère ainsi que tante Yvonne et oncle Pierre. Il ne fallait rien oublier, les autos étaient donc chargées à ras-bord. Comme nous ne voyagions pas souvent en automobile, nous étions très sensibles au mal des transports. Le danger était donc fort grand, particulièrement dans la section entre Duchesnay et le lac Sergent, qui n’était alors qu’une succession de petits butons, que l’un de nous soit malade et qu’il faille arrêter pour nettoyer l’auto et reprendre un peu de couleurs. Oh là là, quand mon oncle Pierre s’est acheté une belle Jaguar garnie de véritable cuir à l’intérieur, c’était alors Gravol obligatoire !

La vie au lac est rythmée par les allées et venues de mon père, professeur, qui donnait des cours d’été à Québec. N’ayant pas d’automobile, ses déplacements sont assurés par de bons samaritains ou par l’autobus qui relie Québec à Rivière-à-Pierre en passant par le lac Sept-Îles. Cette liaison se faisait sur 2 jours et le chauffeur était alors hébergé à l’hôtel Villégiature. Parfois, ma mère, qui avait hâte de voir son homme, partait à pied à sa rencontre accompagnée des enfants. Lorsque l’autobus était en vue, on le hélait pour qu’il arrête. Le chauffeur, bon enfant, nous faisait alors monter à bord pour faire le reste du trajet en compagnie de mon père. C’était alors l’occasion de prendre un bon cornet de crème glacée à cinq sous acheté au dépanneur attenant à l’hôtel.

En 1952, mes parents acquièrent le chalet du notaire Marcel Larue de Saint-Raymond, la Villa Boisvert, du nom d’Arthur Boisvert, un oncle de maman, qui en avait construit le corps principal autour des années 1918-1920. Il est situé dans le chemin Bishop qui ne dessert plus alors qu’une dizaine de chalets, ayant été remplacé par le chemin du lac Sept-Îles qui passe plus haut. Quel changement! Un très grand chalet lumineux, agrandi par le notaire Larue, qui offre de nombreuses chambres pour loger notre famille. Mon jeune frère Paul complètera la fratrie deux ans plus tard.

Villa Boisvert, en 1927

Le confort s’améliore. Nous avons l’électricité, un chauffe-eau et la toilette à l’eau. Le chauffage est fourni par un poêle à bois dans la cuisine et un foyer au salon. Les lampes à l’huile serviront encore car l’électricité manque souvent. Les jours de mauvais temps, le petit poêle à bois est
chauffé au maximum et c’est l’occasion d’y faire cuire directement sur la surface des bonnes galettes de sarrasin que l’on déguste avec du beurre et de la mélasse.

Chalet actuel en 2009

Nous aurons le téléphone quelques années plus tard mais en ligne partagée. Cela donne lieu à quelques indiscrétions… mais également à une situation plutôt désagréable car nous serons jumelés à rien d’autre que la Plage Beau Soleil! Le téléphone sonne continuellement jouant avec les nerfs de toute la maisonnée. Heureusement, suite aux plaintes de mes parents, cela ne durera qu’un été. Avec le remplacement en 1973 de la cuisine à l’arrière du chalet, petite et sombre, pour une grande pièce fenestrée apparaissent deux annexes à l’huile qui, une fois qu’on a finalement réussi à les allumer, dispensent une douce chaleur constante. Plus tard, viendra progressivement le chauffage électrique. Le foyer perdra sa place de roi… Le chalet de mes parents en restera toujours un de villégiature estivale. Rien à voir avec les maisons modernes qui apparaissent, toujours de plus en plus nombreuses et de plus en plus grosses, autour du lac.

Au début de l’été, c’est la saison des insectes piqueurs : brûlots, maringouins, mouches noires. Nommez-les, ils sont tous au rendez-vous! Le jour, on court, on joue, on se baigne et on les oublie un peu. Les hirondelles, très nombreuses à cette époque, nous aident aussi car elles se nourrissent d’un grand nombre de ces bestioles. Mais la nuit, pour qu’ils ne dérangent pas notre sommeil, papa, en bon père de famille, vaporisait généreusement les chambres de DDT une heure avant l’heure du dodo… Cela ne semble pas avoir trop affecté notre santé même si on connait maintenant les effets nocifs de ce puissant insecticide.

Denys, Geneviève, Juliette et Hélène, en 1956

Avec l’acquisition de ce chalet, nous suivons l’évolution de la villégiature de l’époque car nous devenons propriétaires de, non pas un, mais deux bateaux moteur. Un petit, équipé d’un 5 HP, qui servira aux enfants et une belle chaloupe de bois verni munie, celle-là, d’un Evinrude 18 HP. Commence alors le ski nautique où chaque enfant aura droit à son tour, le bateau étant piloté d’abord par mon père puis par mon frère ainé Jean, qui est maintenant assez vieux pour le conduire. Juliette pratique aussi ce sport et elle encourage les visiteurs au chalet à l’essayer. Un ami de mes parents, pas très sportif, se risque à chausser les skis. Rendu au milieu du lac, il fait de grands signes que mon frère, aux commandes du bateau, interprète comme une manifestation de joie. Il décide donc de prolonger le tour au grand désespoir du skieur qui voulait plutôt lui indiquer de revenir au chalet au plus vite. De retour au quai, blanc comme un drap, l’ami devra enfiler un petit verre de cognac pour reprendre des couleurs. Jamais plus, on ne l’y reprendra!

Les jours de pluie, le Monopoly demeure l’activité de choix, mon jeune frère Paul finissant toujours en larmes car il perd contre les plus grands qui maîtrisent déjà les subtiles stratégies du jeu. La lecture occupe aussi nos loisirs, mes parents nous ayant abonné à une bibliothèque qui prête les livres à la caisse et qu’on déménage au lac en début de saison.

Avant l’acquisition d’une automobile en 1960 et l’aménagement d’un stationnement à l’arrière du chalet, cet espace était rempli de framboisiers sauvages. Ma mère nous demandait alors de cueillir les fruits bien mûrs pour en faire des confitures. Pour réussir à nous convaincre d’exécuter cette tâche, elle nous donnait un sous de la tasse! Toujours sans auto, il fallait ravitailler la famille. C’est Paul et Blandine Beaupré qui amenaient généreusement maman à Saint-Raymond pour faire le marché. Pouvez-vous vous imaginer la quantité de victuailles qui devait être rapportée pour nourrir pendant une semaine les deux familles de 9 et de 5 enfants! Heureusement, il y avait à cette époque des marchands qui passaient par les chalets pour vendre différents produits : Jos. Vaillancourt pour le pain, la Laiterie Chez-Nous pour les produits laitiers et un cultivateur, monsieur Gingras, pour les légumes et les petits fruits.

La population autour du lac augmente encore ainsi que la circulation sur celui-ci. Les bateaux moteur deviennent la norme et détrônent voiliers, canots et verchères. Le Club nautique est inauguré à l’été 1951. Il devient le cœur de l’activité sociale au lac. Un petit bureau de poste, qui antérieurement se tenait à l’hôtel Villégiature, y est aménagé. C’est le rendez-vous journalier après souper pour aller chercher la « malle » et piquer une jasette avec Charlotte, la maîtresse de poste. Le samedi soir, on y danse au son du juke-box. Pour ving-cinq sous, on a droit à trois chansons. Le Club se remplit de toute la jeunesse du lac et des environs. Çà brasse pas mal. L’abbé Morand, qui passe l’été dans le presbytère à côté du Club, viendra faire son tour régulièrement pour s’assurer que la moralité est bien respectée!

Mon père s’intéresse de plus en plus à l’horticulture. Apparaîtront au cours des années plusieurs plates-bandes de fleurs dont la composition varie selon les essais et erreurs du jardinier. Il y met beaucoup d’ardeur et de patience, préparant les jardins et enlevant les mauvaises herbes malgré les insectes qui l’assaillent. Son espace préféré est celui des rosiers où il ajoute un nouveau spécimen à sa collection été après été. Le résultat sera remarqué par l’Association des propriétaires du lac qui lui accordera une année le grand prix d’aménagement.

Mon père s’est aussi impliqué dans l’organisation de la chapelle comme trésorier. Le dimanche, après la messe, il s’acquitte de ses responsabilités en comptant l’argent récolté lors de la quête. Il se fait aider de ses enfants les plus vieux pour trier les pièces de monnaie. Quelle fierté nous éprouvions, les plus jeunes, quand nous étions enfin autorisés à l’aider dans cette tâche!

Juliette professeure et grand-mère

Les années passent. Les enfants les plus vieux s’éloignent du lac pour travailler pendant l’été. J’aurai mon premier emploi à la colonie Notre-Dame (maintenant le Camp Portneuf) en 1964. Les chalets – des maisons quatre-saisons tout confort – ne cessent de s’ajouter autour du lac et une deuxième ceinture de résidents commence à se développer. Apparaissent alors sur le lac les bruyantes motomarines et, par la suite, les wakeboats. L’activité est fébrile pendant les fins-de-semaine! Mes parents ne suivront pas cette mode. Après la mise au rancart des bateaux en bois, ils n’auront pas d’autre embarcation. Maman profite toutefois du lac en nageant tous les matins, beau temps mauvais temps, pour bien commencer sa journée. Papa, pour sa part, préfère se rafraichir sous la douche (un nouveau confort apparu récemment) après ses longues heures de jardinage. Tous les deux prendront plaisir à contempler le lac à partir de la spatieuse galerie devant le chalet. Les huards continuent de plonger à la recherche de poissons mais les hirondelles et les chauves-souris se font plus rares. Alors que dans ma jeunesse, on voyait régulièrement un vison circuler le long de la berge, ce sont maintenant des écureuils roux qu’on peut observer. Une haie qu’on laisse désormais pousser en bordure du lac abrite plusieurs oiseaux.

À cette époque, papa ne donne plus de cours d’été et profite de toute la belle saison au lac. Maman a entrepris un travail d’écriture pour Radio-Canada. Plusieurs heures par jour, elle s’installe dans son bureau face au lac et rédige les textes commandés. Suivra ensuite le retour aux études en musique, un parcours du combattant, qui lui permettra de devenir à son tour professeure, un travail qui la passionne l’hiver mais qui lui laisse l’été de liberté au lac. Ce nouvel intérêt l’amènera à acheter le piano qui était à la chapelle et dont les marguillers voulaient se départir. Elle l’installera dans son bureau. Il y est toujours et on l’entend à l’occasion y jouer quelques notes.

Lorsque papa ne sera plus capable de jardiner, c’est maman qui prendra la relève et y mettra sa touche personnelle. Ainsi, l’espace garni de salvias rouge feu au pied de la cheminée, deviendra un champ de sarrasin dont les petites fleurettes blanches ne cesseront de la ravir malgré sa vue qui baisse de plus en plus. Avec le temps, les plates-bandes disparaitront les unes après les autres au profit de la végétation indigène et de la renaturalisation de la bande riveraine. Maman continuera toutefois de bêcher et d’ensemencer elle-même son espace de sarrasin jusqu’à l’âge de 95 ans. Normand Beaupré prendra ensuite la relève.

Juliette et Emmanuel, 50e anniversaire de mariage en 1992

Les enfants sont tous partis de la maison. Malgré l’éloignement, ils restent attachés au lac et y reviennent à l’occasion. Ma sœur Hélène, pour sa part, perpétue la tradition et devient résidente estivale comme ses parents. Son mari, Georges Lefaivre, et elle font construire en 1973 un chalet par Paul Beaupré et ses fils. Les premiers séjours seront d’abord plutôt courts en mode camping abrités sous le chalet en construction.

Lorsque celui-ci sera à peu près terminé, ma sœur s’installera pour tout l’été avec ses jeunes enfants. Georges travaille à Québec et vient faire son tour le mercredi soir pour revenir la fin-de-semaine. Sans auto ni téléphone, ma sœur commence alors une période de pionnière dont elle garde tout de même un très bon souvenir. Elle a hérité de la petite chaloupe de mes parents et s’en sert pour amener ses enfants au Club nautique où se donnent des cours de natation. Son plus vieux, Bernard, y apprendra aussi les rudiments de la voile. Il pourra ainsi accompagner son père qui vient d’acquérir un voilier assez imposant et qui a besoin d’un moussaillon. Plus tard, viendra un bateau moteur qui permettra aux enfants de pratiquer le ski nautique et aux visiteurs de faire le tour du lac. La baignade, les jeux de société, la lecture et une nouveauté – la télévision – occupent les journées de cette famille de villégiateurs typiques de l’époque.

Les visites d’Hélène et de sa famille au chalet de ses parents sont fréquentes. Emmanuel et Juliette voient avec plaisir leurs petits-enfants grandir sous leurs yeux. D’autres petits-enfants, 10 en tout, et arrière-petits enfants (7) s’ajouteront à la famille. Les rencontres au lac donnent alors lieu à de joyeuses retrouvailles entre cousins et cousines.

Juliette grand-mère avec Camille en 1997

En 2011, c’est au tour de Christine Lefaivre, la fille cadette d’Hélène, de poursuivre la tradition de villégiature estivale. Avec son conjoint, Jocelyn Blais, elle achète un petit chalet qui bénéficie d’un accès au lac grâce à une belle plage sablonneuse. Leur fils Paul-Émile – cinquième génération au lac – y apprendra à nager tout comme sa « grand-grand » l’a fait il y a de cela quelque quatre-vingt-dix ans.

Juliette centenaire

Après le décès de papa en 1997, maman continue de passer ses étés au chalet. Elle y est grandement attachée et apprécie tellement l’air pur qu’elle y respire! Lorsque, à 90 ans, elle aura cessé de conduire la voiture en raison de sa vue qui baisse et des réflexes un peu émoussés, c’est Hélène qui la voyagera et qui, de son propre chalet, gardera un œil bienveillant sur elle. Les journées passent un peu plus lentement mais maman garde toujours une place à l’horaire pour la baignade, jusqu’à ses 100 ans où elle ne se sent plus assez de force pour nager. C’est un gros deuil à faire mais elle a pour son dire : « Il faut apprécier ce que je peux encore faire et ne pas regarder en arrière. »

Elle remplace alors cette activité par de dynamiques longueurs de galerie ponctuées par le bruit de sa canne qui cogne sur le plancher puis, quelques années plus tard, par le roulement de son déambulateur. Ses petits plaisirs vont des longues séances de chaise longue sur la galerie à l’observation de son sarrasin qui fleurit. Son esprit demeure bien vif et elle se nourrit abondamment de documentaires historiques et d’émissions scientifiques grâce à la télévision et la radio.

Juliette lors de la fête de ses 100 ans au Manoir du lac Sept-Îles

Pour ma part, en raison d’un long détour professionnel à Montréal et de l’activité de canot-camping qui m’ont tenue éloignée du lac, je m’en rapproche à nouveau et vient faire des séjours au chalet, avec mon conjoint Benoit Gauthier, de plus en plus souvent. Nous nous occupons des menus travaux d’entretien du chalet et répondons, grâce à l’internet, aux mille et une questions qui se bousculent dans la tête de maman. Nous profitons du lac grâce à notre fidèle canot de rivière et à un kayak nouvellement acquis, une embarcation qui reflète la tendance actuelle dans le non-motorisé.

Benoit et moi sommes les yeux et les oreilles de maman car elle nous demande constamment : « Vois-tu des hirondelles ? des huards? Est-ce qu’il y a des voiliers sur le lac? Entends-tu des grenouilles? » Par contre, elle entend vaguement les bateaux encore plus nombreux sur le lac mais apprécie tout de même la vie qui y règne. Sa vue toutefois ne lui permet pas d’apprécier les nouvelles activités à la mode comme les bouées tractables tirées par les bateaux moteur, descendantes de l’aquaplane de sa jeunesse, ou encore la planche à pagaie que son frère Jean-Paul, le casse-cou de la famille, aurait sûrement maîtrisée avec succès.

Le chalet vieillissant n’a pas connu d’améliorations depuis les années 1970. Benoit et moi entreprenons, à partir de l’été 2017, une série de rénovations qui lui redonneront un coup de jeunesse dont, entre autres, l’eau potable dans les robinets, quel confort ! Maman observe ces transformations avec un certain intérêt mais elle voit, surtout, ma volonté de poursuivre, avec ma sœur Hélène, sa fille Christine et le petit Paul-Émile la présence de la famille Bourassa au lac Sept-Îles et, pour elle, c’est sa vie qui continue…

Écrit en avril 2020 pendant la pandémie de Covid-19

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